Haïti : Des incohérences théoriques du Plan de reconstruction de M. Préval
Ce n’est pas sans raison si les participants au forum de l’Université sur la refondation ont constaté le flou du Plan de reconstruction du gouvernement Préval (PARDH) sur la décentralisation[i]. Les explications fournies par le Directeur du Ministère de la Planification et de la Coopération Externe (MPCE), sur la différence entre la déconcentration et la décentralisation n’ont certainement apporté aucune clarté car au sein même de ce ministère règne la plus grande confusion sur ces concepts de base et par conséquent sur les politiques qu’ils devraient inspirer. Le Problème de la reconstruction d’Haiti ne se pose donc pas seulement sur le plan politique mais aussi sur le plan théorique et conceptuel.
Analysant le projet de loi du Ministère de la Planification (MPCE) sur l’Aménagement du territoire et le Développement local,[ii] on relève des malentendus majeurs concernant la décentralisation, le développement local et l’aménagement du territoire. Nous nous proposons de traiter chacun de ces aspects dans une série d’articles et nous aborderons dans ce premier, l’amalgame qui est fait entre deux concepts proches mais différents : décentralisation et déconcentration.
L’approche territoriale développée dans ce projet de loi et reprise dans le PARDH, prend appui essentiellement sur les arrondissements et les Vice-Délégués, alors que la décentralisation repose sur la responsabilisation et la capacitation des élus locaux, notamment les maires et les Casecs. L’exposé des motifs du projet de loi mentionné précédemment, prétend que: « la mise en place de services administratifs locaux… serait plus fonctionnelle à l’échelle de l’arrondissement qu’à ceux des Communes et des Sections communales ».
En réalité, le territoire à couvrir par un service, qu’il soit public ou privé, administratif ou social, est lié à l’effectif de la population qui peut ou qui doit en bénéficier. Une épicerie (service privé) ou une école fondamentale (service public par excellence) doivent être à proximité de leurs utilisateurs. Il est reconnu que les services publics de proximité sont mieux gérés par des acteurs locaux. Par contre, les hôpitaux, les universités, les aéroports, qui sont des infrastructures de niveau supérieur, correspondent à des territoires plus grands que la commune et les autorités qui en sont responsables doivent avoir un pouvoir qui également dépasse ce niveau de territoire.
Marc-Urbain Proulx avait bien compris cette problématique dans son étude réalisée pour le MPCE en août 2000[iii]. Pour lui, la stratégie de développement régionale à travers les arrondissements vise uniquement à offrir aux autorités locales une assistance supra locale pour la gestion de biens et services supérieurs ayant des effets de débordement et qui nécessitent de ce fait une aire de desserte plus grande.
Il ne s’agit pas de « privilégier » un niveau de territoire par rapport à un autre mais de trouver le cadre territorial correspond le mieux à un type de services donné. C’est d’ailleurs la logique qui sous-tend la perspective d’un maillage territorial des services dans un même secteur.
L’avant-projet de loi propose deux échelons de développement et d’aménagement : le territoire national et l’Arrondissement, les deux administrés par l’administration centrale. Comment alors parler de décentralisation ou de développement local? Que dire de l’élimination du Département comme niveau de déconcentration ou de Décentralisation?
Parmi les nombreux arguments plaidant contre le choix des arrondissements comme unité territoriale de base du développement local ou de la décentralisation, retenons les suivants :
– L’arrondissement n’a pas de représentants élus ni au premier, ni au second degré. Les vices délégués sont nommés par l’Exécutif;
– L’arrondissement n’a pas de budget propre. Il n’a pas de pouvoir de taxation et ne dispose d’aucune perspective d’autonomie financière;
– Les affaires locales impliquent l’existence d’intérêts communs et d’un sentiment d’appartenance à une même communauté. Assez souvent, des communes d’un même arrondissement sont en rivalité voire en conflit ouvert.
Par contre, le choix de la commune ou de la section communale pour la gestion des services de proximité répond à des exigences d’efficience, d’efficacité et correspond à l’évolution historique de ces niveaux de territoires. Il n’exclut nullement la possibilité de constituer des instances supra-communales (intercommunalité ou mutualisation de services) chargées de la mise en œuvre d’un développement ou de projets répondant à des intérêts collectifs. La décentralisation n’exclut pas non plus la nécessité qu’il peut avoir de centraliser certaines fonctions d’un service de proximité. La formation continue des instituteurs, la gestion de leurs carrière, la définition des programme d’enseignement du fondamental pourraient continuer à être pris en charge par des instances déconcentrées de l’administration centrale.
Comme le lecteur pourra s’en rendre compte, ces erreurs conceptuelles ne sont pas du tout banales. À elles seules, elles peuvent résulter au dysfonctionnement de toutes les actions de proximité envisagées dans le PARDH. Encore que l’on doive se rappeler que ces malentendus sont liés à des pratiques douteuses d’un gouvernement qui n’a cessé de détourner des fonds consacrés aux collectivités territoriales, notamment au bénéfice de parlementaires à sa dévotion.