Haïti : Ces fruits amers de l’illégalité
Depuis le 28 mars 1987, 13 mois après un retour de 23 ans d’exil impie et mortifère à déambuler autour des frontières de mon pays, mais stationnant à Porto Rico et en République Dominicaine, la boussole qui me guidait dans l’activité tumultueuse du CEDH est restée la même dans ce crépuscule infertile. Toujours et encore, on y rencontre l’humanisme chrétien du personnalisme, la recherche de la paix et la justice, et la Constitution haïtienne du 28 mars 1987 qui a proclamé, de façon réelle et prophétique, les obligations de l’Etat et des gouvernements de respecter la loi, les droits des citoyennes et des citoyens, de donner accès à tous « san pas pou ki » aux services communautaires, leur assurant santé et savoir.
Trente ans après notre retour, la chute dans l’improvisation et l’impuissance n’a jamais cessé. La violence est toujours présente ou menaçante. Amère est la chute dans le désordre et la pagaille, venant même de gouvernants de toute origine. Certes on a connu la période des satrapes, des pouvoirs ancrés sur la force ou la caste, quand rien ne peut s‘opposer à une avidité sans limites, sans crainte, sans hésiter à piétiner les faibles et les voisins. Mais on n’avait pas encore connu une sorte d’indifférence à gouverner comme s’il était devenu impossible de changer quoi que ce soit.
En même temps, venant de partout, on assiste à une ruée, du sommet jusqu’à la base, pour profiter de ces étranges circonstances où le pouvoir complote à l’effondrement du pouvoir. Des responsables de cet Etat refusent de légiférer, refusent d’appliquer ce qui est requis par la Constitution, de sanctionner et de nommer le mal et les malins. La république se vend. La république s’achète. Peu importe à qui et de qui. Comment mobiliser la justice quand tout peut-être interprété au gré du vent ? Et comment pourrait-on, après cela, hypocritement, inviter des compatriotes qui ont laissé ce pays pour ces raisons là-mêmes, à revenir au pays pour patauger et perdurer dans cette sinistre pagaille ?
Avec un groupe d’institutions de la société civile, convaincus qu’il fallait éviter encore une autre descente dans l’enfer de la violence impunie, nous avons, depuis plusieurs années, décrit et dénoncé un véritable assaut qui se tramait pour maintenir le blocage de la justice et contourner les prescrits de la Constitution. Un assaut qui, paradoxalement, se déguisait sous le masque de la bonhomie et même de la gentillesse, un souffle léger venant de la Renaissance… carpe diem…profite de cet instant…
A ce complot appartiennent ces étranges cérémonies que l’on a baptisé du nom d’élections ou ces curieux va-et- vient à quoi les responsables eux-mêmes s’adonnent, refusant de légiférer, refusant de sanctionner, réalisant ainsi dans une sorte d’anarchie négligente, le rêve d’une société sans foi ni lois. C’est tranquillement que la république se vend aux enchères.
Nous avons signalé que des décisions se préparaient pour un abandon de la Constitution. Il fallait, sans s’arrêter, dénoncer les complicités et les détournements qui s’effectuaient. Nous voyons au grand jour comment on organise des rallonges de mandats aux législateurs eux-mêmes, des budgets votés à la cloche de bois, tout cela ouvrant le chemin à des fraudes électorales majeures.
Il faut lire les 7 pages de James Morrell, Democracy Project, WASHINGTON, dans ce document intitulé « Haïti- Elections : Dites à cette délégation de faire ses valises ». [1] Échec , dit-il, de la mission de l’OEA « incapable de réaliser correctement les travaux qui correspondent à la plus rudimentaire vérification, et qui sont normalement inséparables de ce que l’on appelle une mission d’observation électorale ».
Ce texte, publié par AlterPresse le 5 janvier 2011, signale avec toute la tranquillité de la certitude, l’énormité des fraudes de tout genre commises aux dernières élections. Tout cela se lit comme un manuel de fraude électorale. Un verdict qu’il ne sera pas possible d’ignorer.
Les 800 000 qui ont quand même pu voter (20% ) et les 4 millions qui n’ont pas pu le faire, n’ayant ni carte d’identification, ni domicile et incapables de trouver leur bureau de vote, peuvent voir clairement ce qui se prépare, ce malheur suspendu au dessus de nos têtes, ce pourquoi Léon Manus, un patriarche de la démocratie, a dû quitter son pays.
Cela n’a pas cessé. Cela ne cessera point.
A moins que tous et chacun décidions de nous opposer à ce bal de ripoux et qu’on montre en clair, selon la loi, comment l’illégalité et l’impunité transforment en coquins de jeunes représentants et serviteurs de l’Etat et qu’avant toute chose, on proclame le réveil de la dignité, l’épiphanie de l’aube.
Jean-Claude Bajeux
Directeur exécutif du Centre Œcuménique des Droits Humains (CEDH)