De Haïti à la Tunisie, la difficile traque des « biens mal acquis »
Des dizaines de milliards de dollars sont détournés chaque année dans les pays pauvres, mais, comme l’illustrent les cas tunisien et haïtien, la traque, le gel et surtout la restitution de ces avoirs s’apparentent à un parcours d’obstacles.
« Récupérer le produit de la corruption est complexe », reconnaissent la Banque mondiale et l’ONU dans un « guide » qu’elles viennent de publier pour faciliter la tâche des Etats concernés.
Dès le lendemain de la fuite du clan Ben Ali de Tunisie, le 14 janvier, plusieurs leviers ont été activés pour éviter que le président déchu et son entourage, accusés d’avoir bâti leur pouvoir sur la corruption, ne se volatilisent avec l’argent et les « biens mal acquis » à l’étranger.
La France, suivie de la Suisse, ont annoncé leur intention de bloquer les biens et les comptes bancaires qu’ils y auraient accumulés grâce aux deniers publics détournés. L’Union européenne (UE) a ensuite acté jeudi le principe d’un gel des avoirs de Zine El Abidine Ben Ali et ses proches, selon une source diplomatique, mais la décision formelle n’interviendrait que dans une dizaine de jours.
Sur le front judiciaire, trois associations ont porté plainte mercredi à Paris, tandis que la justice tunisienne ouvrait une enquête pour « acquisition illégale de biens » et « placements financiers illicites à l’étranger ».
Et la télévision tunisienne a diffusé les images de nombreux bijoux, montres et cartes bancaires internationales saisis lors de l’arrestation de 33 membres du giron de l’ex-chef de l’Etat.
« Les villas et les appartements ne vont pas bouger, mais un compte bancaire, ça se vide en deux temps trois mouvements », met en garde Daniel Lebègue, président de Transparency International France, une des associations à l’origine de la plainte parisienne. « Dans une situation comme celle-ci, les premiers moments sont cruciaux ».
« On sait déjà que deux avions du clan Ben Ali ont quitté la France dimanche », soupire-t-il encore, jugeant les décisions françaises « très insuffisantes ». « Qu’y avait-il à bord? Il y a un risque évident qu’ils aient déjà organisé la fuite des fonds. »
L’expérience montre que, même lors de la chute des régimes incriminés, les Etats ont le plus grand mal à récupérer leur dû.
Selon les estimations internationales, 20 à 40 milliards de dollars sont dérobés chaque année aux pays en développement du fait de la corruption. Mais en plus de quinze ans, seuls cinq milliards ont été rendus.
A titre d’exemple, la Banque mondiale souligne que 20 milliards de dollars permettent de financer la construction de 48.000 km de routes ou le traitement pendant un an de 120 millions de personnes atteintes du VIH/sida.
Les détournements de l’ex-dictateur Jean-Claude Duvalier, qui vient de faire un retour surprise en Haïti où il a été inculpé de corruption, sont considérés parmi les plus graves. Selon la Banque mondiale et de l’ONU, Baby Doc « est accusé d’avoir volé l’équivalent de 1,7% à 4,5% du produit intérieur brut (PIB) haïtien pour chacune des seize années qu’il a passées au pouvoir ».
Une partie de ces avoirs sont bien identifiés: il s’agit de 5,7 millions de dollars déposés par la famille Duvalier sur des comptes suisses et gelés depuis 24 ans par les autorités helvétiques. Mais Haïti, qui en aurait cruellement besoin, ne parvient pas à les récupérer.
« Les avocats ont multiplié les actes de procédure, et le principe de restitution n’a finalement été admis que très récemment, dans une convention de 2007, par la communauté internationale », souligne Daniel Lebègue.
La Suisse, dont le secret bancaire en a fait une destination privilégiée des fonds issus de la corruption, se veut aujourd’hui en première ligne contre ce fléau. Elle vient d’adopter une loi, surnommée « Lex Duvalier », facilitant la restitution de l’argent aux populations spoliées.