Réginald Boulos écrit à l’Union européenne
L’entrepreneur haïtien Réginald Boulos, ancien grand patron du secteur privé national, a écrit à l’ambassadeur de l’Union européenne en Haïti pour exprimer son désaccord face aux propos du chef de la délégation de l’Union européenne en République dominicaine, Alberto Navarro, relatifs aux récentes mesures prises par le gouvernement haïtien aux fins de régulariser le commerce entre Haïti et la République dominicaine. M. Navarro s’est insurgé contre cette mesure, prétextant qu’elle entraînera une augmentation des prix des produits de plus de 40% en Haïti. Réginald Boulos ne partage pas cet avis. Nous publions in extenso la lettre de M. Boulos.
Port-au-Prince, le 25 septembre 2015
Monsieur l’Ambassadeur,
Nous avons été surpris de la déclaration du Chef de la Délégation de l’Union européenne en République dominicaine, M. Alberto Navarro, relative aux mesures prises par notre gouvernement aux fins de régulariser
le commerce entre Haïti et la République dominicaine et, du coup, freiner la contrebande qui prive notre pays de fonds nécessaires et indispensables à son développement endogène.
Dans une déclaration largement relayée dans la presse internationale, M. Navarro s’insurge contre cette mesure, prétextant qu’elle entrainera une augmentation des prix des produits de plus de 40%. Permettez, Monsieur l’Ambassadeur, que je vous dise qu’aucune donnée ne supporte une telle affirmation pour le moins irréfléchie et disproportionnée. Cette sortie alarmiste nous semble participer d’une démarche visant la défense exclusive et la protection du secteur dominicain des affaires au détriment des intérêts économiques vitaux d’Haïti. Nous en sommes d’autant plus surpris qu’elle est en net décalage par rapport aux prises de positions de plusieurs instances de la communauté internationale sur la nécessité pour Haïti d’élargir son assiette fiscale et d’intensifier la lutte contre la corruption et la contrebande.
Contrairement aux allégations du Chef de la Délégation de l’UE en République voisine, les données à notre disposition ne suggèrent nullement que les mesures correctives annoncées par le gouvernement haïtien induiront des effets inflationnistes. Cette flambée éventuelle des prix dont parle M. Navarro supposerait que :
- Les contrebandiers d’aujourd’hui passent à leurs clients les économies de taxes et de droits de douane découlant de la contrebande. La corruption et la contrebande ont un prix qui bénéficie principalement aux corrompus et aux corrupteurs ;
- Le coût du transport par les points de passage frontaliers clandestins ne peut être évalué ;
- Le coût du transport maritime est, sera et restera plus élevé que celui lié au transport terrestre clandestin.
Je vous fais remarquer, par ailleurs, que ces mesures s’inscrivent dans une perspective de relance et de promotion de la production nationale, la seule politique viable à même de garantir à notre pays l’autosuffisance alimentaire et une baisse substantielle du coût de la vie. La réduction de la contrebande et la régularisation du commerce transfrontalier permettront au Trésor public d’augmenter ses revenus et de se donner les moyens indispensables au financement de projets d’envergure dans les secteurs de l’agriculture, de l’agro- industrie et du tourisme. Les retombées positives toucheront également le social par l’amélioration de la qualité des services offerts aux couches vulnérables et la multiplication des opportunités d’emploi.
Ce parti pris implicite de M. Navaro en faveur de la contrebande au désavantage d’Haïti a tout l’air d’un déni d’humanité qui ne reconnaît aux chômeurs et aux nécessiteux haïtiens de tous ordres, lesquels il feint de défendre, le droit à un emploi durable, à un logement décent, à une éducation de qualité et à des soins de santé adéquats. Il est de mauvais ton que des membres de la communauté internationale interviennent pour défendre le commerce illicite de marchandises.
L’Union européenne joue, depuis plusieurs années, un rôle clé d’accompagnateur dans les processus de développement économique, d’apaisement social et d’institutionnalisation démocratique en Haïti. Cet effort remarquable d’accompagnement doit continuer dans l’engagement durable et la promotion d’initiatives binationales soutenables équilibrées entre Haïti et la République dominicaine. Les amis européens des deux nations sœurs qui se partagent l’île d’Haïti doivent favoriser, en toute équité et sans esprit partisan, la recherche de solutions communes aux problèmes qui constituent des irritants majeurs dans les relations qu’elles entretiennent entre elles. Faute de quoi, l’aide au développement de l’UE à Haïti ne produira les effets transformateurs escomptés.
Recevez, Monsieur l’Ambassadeur, mes salutations distinguées.
Réginald Boulos,
Citoyen haïtien et entrepreneur
Monsieur Vincent Déger
Ambassadeur de l’Union européenne en Haïti