Membre du jury du Prix Carbet depuis ses débuts, Michaël Dash, originaire de Trinidad, a été professeur de littérature à l’Université des West Indies sur le campus de Mona, en Jamaïque, puis à New York University.
Propos recueillis par Adams Kwateh
Quels enseignements tirez-vous du Prix Carbet de la Caraïbe, vingt ans après ?
Je pense que vingt ans d’existence pour un prix littéraire dans notre partie du monde est déjà quelque chose de phénoménal. Le prix a pu suivre les courants importants de la littérature caribéenne et a peut-être même influencer la lecture et la réception critique des œuvres primées. A cet égard, je pense que le Prix Carbet a reconnu les écrivains qui sont déjà connus dans la région. Il a signalé également les tendances intéressantes dans l’évolution de la littérature de la région dans les attendus de jury. En outre, le Carbet a pu identifier certains jeunes écrivains qui étaient destinés à un succès international comme ce fut le cas avec Patrick Chamoiseau et Dany Laferriere, les deux premiers romanciers à avoir été primés.
Peut-on comparer le Prix Carbet à d’autres prix qui existent ?
Dans la région caribéenne, il n’existe qu’un seul prix pouvant être comparé au Prix Carbet, c’est le Prix Casa de las Americas qui récompense une œuvre de toute la zone caribéenne. Cependant, les objectifs de ce prix sont moins clairement définis que ceux du Prix Carbet qui cherche à primer des ouvrages qui expriment l’unité-diversité de la Caraïbe. La Caraïbe anglophone n’a pas de prix régional ; les récompenses littéraires étant décernées plutôt au niveau du Commonwealth.
Quel est l’état de « santé » de la littérature de la Caribéenne ?
La production littéraire est plus vigoureuse que jamais. C’est déjà très difficile de suivre les œuvres publiées dans la région ou par des écrivains qui vivent dans la Caraïbe. Il faut maintenant ajouter les écrivains caribéens de Londres, Montréal ou New York, où il y a maintenant plusieurs maisons d’édition qui font la promotion des écrivains caribéens Ce qui a créé un autre lectorat. La démonstration de la qualité des écrivains caribéens, toutes générations confondues, n’est plus à faire puisqu’ils reçoivent des distinctions de partout. L’étude de leurs livres, qui sont de plus en plus disponibles en traduction, figure dans les cursus littéraires de nombreuses universités. La seule chose que je dirais c’est que le roman semble être le genre dominant chez les jeunes auteurs. Les poètes Glissant, Walcott, Brathwaite sont d’une autre génération.
Etes-vous surpris de voir les auteurs haïtiens souvent récompensés en France ?
En ce qui concerne les écrivains haïtiens, il semble que c’est leur tour. Le succès du dernier roman de Dany Laferriere en est la preuve. D’ailleurs, la majorité des auteurs primés par le Prix Carbet viennent d’Haïti. Il faut aussi reconnaître qu’Haïti a deux centres de production littéraires et deux communautés d’écrivains ; l’une à Port-au-Prince, l’autre à Montréal pour la littérature en français. Bien sûr, il ne faut pas oublier Edwidge Danticat à Miami et d’autres auteurs importants mais moins connus en Amérique du Nord. Peut-être qu’avoir été édités hors de France a été une chance pour cette génération d’écrivains haïtiens qui n’ont pas eu à subir l’influence du marché littéraire et de la politique éditoriale de Paris. Cela leur a certainement permis de se placer plus facilement dans un contexte américain, c’est-à-dire hémisphérique.
Au programme, mardi soir : Nurith Aviv, lumière sur les langages
Première manifestation publique du Prix Carbet, la projection ce soir à Madiana de « L’alphabet de Bruly Bouabré » et « D’une langue à l’autre », de la réalisatrice israélienne Nurith Aviv. Les deux films traitent d’un fait politico-culturel : la place des langues dans l’identité nationale et la production culturelle. Le premier film aborde l’écriture de l’hébreu, la langue officielle en Israël, par des écrivains dont la langue maternelle est le polonais, le russe ou le français. Alors quel est le rapport entre une langue imposée et une langue dans laquelle un auteur affirme mieux son imaginaire ? Le débat est ouvert. Le second film concerne l’invention de l’alphabet par un Frédéric Bruly Bouabré, un locuteur du bété, une langue du grand groupe linguistique krou s’étendant à l’ouest de la Côte-d’Ivoire et au Libéria. Les deux projections seront suivies d’un débat avec Nurith Aviv qui, il y a quelques semaines, a été lauréate du prix du Tout-Monde, décerné chaque année par l’université Paris 8. Projections à 19 heures à Madiana. Entrée gratuite
Le jury
Edouard Glissant (Martinique) – Président. Patrick Chamoiseau ( Martinique). Michael Dash (Trinidad-Jamaïque). Diva Barbaro-Damato (Brésil). Lise Gauvain (Québec). Miguel Duplan ( Martinique-Guyane). Maximilien Laroche (Haïti). Simone Schwarz-Bart (Guadeloupe). Nancy Morejòn (Cuba). Ernest Pépin (Guadeloupe). Samia Charfi (Tunisie). Rodolphe Alexandre (Guyane).
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