Une experte des Nations Unies s’inquiète du phénomène des “restaveks” en Haïti
La Rapporteuse spéciale sur les formes contemporaines d’esclavage, y compris leurs causes et leurs conséquences, Mme Gulnara Shahinian, exprime de profondes inquiétudes au sujet de l’exploitation inhérente au système de restavek en Haiti, un système qu’elle considère être une forme moderne d’esclavage.
A la fin de sa visite en Haiti, Mme Shahinian a exprimé sa profonde inquiétude quant au système de restavek, qui prive les enfants de leur environnement familial et constitue une violation de leur droits les plus élémentaires tels que les droits à l’éducation, à la santé et à l’alimentation en plus de les assujettir à de multiples formes d’abus, y compris l’exploitations économique, la violence sexuelle et les punitions corporelles violant leur droit fondamental à la protection contre toutes les formes de violence. Elle a aussi rapporté que plusieurs cas de traite d’enfants lui ont été signalés à l’intérieur et vers l’extérieur du pays. Tout au long de sa visite, qui l’a également amenée à Ouanaminthe et aux Cayes, des témoins lui ont décrit cette pratique sous ses diverses formes. Mme Shahinian a discuté avec différents intervenants des causes profondes de ce phénomène ainsi que des efforts à entreprendre pour y faire face.
La Rapporteuse spéciale a fait appel à toutes les parties prenantes afin qu’elles fassent de l’éradication de cette pratique une priorité. “Cette pratique est une violation grave des droits de l’enfant les plus fondamentaux alors que les enfants sont les piliers de la société. Elle renforce le cercle vicieux de la violence et doit être immédiatement arrêtée.”, a réaffirmé Mme Shahinian.
Notant que l’instabilité politique des dernières décennies, combinée à aux catastrophes naturelles répétées, a entravé le développent économique et sociale d’Haïti, aggravé la pauvreté et exacerbé l’insécurité, la Rapporteuse Spéciale a félicité le gouvernement Haïtien de ses efforts afin de répondre à la question à travers des mesures législatives, politiques et des programmes afin de protéger les droits des enfants restaveks. Elle s’est réjouit particulièrement de la création de la Brigade de protection des mineurs et des efforts de l’Institut du bien-être social et de la recherche (IBESR), malgré le manque de ressources humaines et financière. Toutefois, elle reconnaît, comme d’ailleurs plusieurs représentants du gouvernement qu’elle a rencontré, qu’il reste plusieurs défis à relever avant l’éradication complète du phénomène des restaveks en Haïti.
Deux nouvelles tendances ont récemment été observées: au placement direct d’enfants d’une famille vers une autre, est venu s’ajouter l’action de recruteurs qui, pour un gain financier, recrute des enfants des zones rurales afin de les envoyer travailler dans des familles installées en zone urbaine comme enfants esclaves faisant le travail domestique ou travaillant à l’extérieur de la maison, au marché. De plus, la majorité de la demande s’est maintenant déplacée des familles riches vers les familles démunies.
La situation de centaines de milliers d’enfants reste donc alarmante et requiert une attention immédiate et une réponse systématique et complète du gouvernement. “La question doit être mise de façon prioritaire sur l’agenda du gouvernement et de la communauté internationale”, ajoute la Rapporteuse spéciale. Les questions suivantes sont des sujets de profondes inquiétudes pour la Rapporteuse spéciale :
1. L’application limitée dans le droit et la pratique nationale des obligations internationales d’Haïti relatives au droits de l’homme, malgré la ratification par Haïti de nombreux instruments internationaux de droits de l’homme sur l’élimination de l’esclavage et la protection des droits de l’enfants, plus particulièrement la Convention supplémentaire relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analogues à l’esclavage, la convention de l’OIT No. 29 concernant le travail forcé, la Convention sur les droits de l’enfant, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, la Convention internationale sur les droits civils et politiques et la convention de l’OIT No. 182 sur les pires formes de travail des enfants, la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée ;
2. Les moyens limités au niveau financier et institutionnel des agences gouvernementales s’adressant aux enfants vulnérables ainsi que leur nature parcellaire ;
3. Le nombre limité de programmes visant la question du travail des enfants;
4. Le nombre limité et l’inaccessibilité de la scolarité gratuite pour les enfants provenant des communautés rurales défavorisées ainsi que l’absence d’un système de santé et de protection sociale ;
5. L’absence de lois protégeant les droits de l’enfant, en particulier ceux des enfants vulnérables, incluant les restaveks ;
6. La faiblesse du système judiciaire, qui ne permet pas d’assurer la poursuite des auteurs du crime, ni l’imposition d’une peine adéquate à la suite d’un procès équitable, ce qui a pour conséquence de faire obstacle à l’accès à la justice et à une compensation juste pour les victimes ;
7. Le manque d’attention apporté à la question par les Organisations internationales qui ont une coopération limitée dans le domaine et des programmes segmentaires ;
8. Les efforts sporadiques et insuffisants du gouvernement afin de coopérer avec la société civile et soutenir ses actions dans la lutte pour combattre le phénomène ; La Rapporteuse spéciale fait les recommandations préliminaires suivantes au gouvernement d’Haïti :
La sécurité de chaque enfant est d’une extrême importance pour le développement de la société ; baser ce développement sur les droits humains est une condition préliminaire à la paix durable. Le gouvernement, en collaboration avec la communauté internationale, devrait attribuer une place prioritaire aux politiques et programmes ayant pour objectif la protection des droits humains, en particulier les droits de l’enfant ; De plus, le gouvernement devrait:
Etablir une Commission Nationale sur les enfants, avec une attention particulière portée aux enfants vulnérables afin de surveiller et assurer la protection des droits des enfants ; Mener une étude approfondie des institutions nationales travaillant avec les enfants, en particulier les enfants vulnérables, afin de déterminer les besoins et les conditions financières pour assurer leur bon fonctionnement ;
Promouvoir le désarmement afin de réduire la violence sociétale et rétablir la sécurité et la cohésion sociale ;
1. Dans le domaine de la prévention le gouvernement devrait développer des programmes exhaustifs et proactifs afin d’éliminer la pratique de « restaveks » en :
Lançant une campagne de sensibilisation sur les dangers et l’impact de la pratique des restaveks sur les enfants et le travail des enfants en général, à travers le pays, incluant les zones rurales et les zones frontalières ;
Favoriser l’accès et surveiller l’enregistrement des naissances, dès la naissance, à travers le pays ;
Fournir des programmes générateurs de revenus alternatifs pour les familles défavorisés dans les communautés rurales, afin de développer l’agriculture et de commercialiser leurs produits;
Assurer l’éducation primaire obligatoire et augmenter l’accès à des établissements scolaires en milieu rural ainsi que des services de santé gratuits ;
Fournir des formations aux agents de l’Etat s’occupant des enfants vulnérables dont les ministères, les institutions gouvernementales locales, la Brigade de protection des mineurs, les inspecteurs du travail, les professeurs, les médecins et autres groupes et intervenants pertinents ;
Développer des systèmes de renvois nationaux devant les autorités compétentes et des mécanismes de protection coordonnés pour les enfants vulnérable et assurer leur fonctionnement et leur efficacité ;2. D’importants changements législatifs sont nécessaires:
Le gouvernement d’Haïti doit prendre des mesures urgentes afin d’harmoniser la législation nationale aux instruments internationaux de droits de l’homme ratifiés par Haïti, il devrait également :
Ratifier le Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels, la Convention internationale sur la protection des droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille ;
Développer et mettre en application des programmes législatifs adressant de manière complète toutes les questions relatives à certains groupes spécifiques d’enfants vulnérables et des mécanismes de mise en application ;
Adopter une loi sur la lutte contre la traite des êtres humains et développer de solides mécanismes d’adoption ;
Adopter des mesures immédiates et à long terme apportant des réponses aux points faibles dans l’administration de la justice 3. Afin d’assurer le retour sans dangers et la réintégration efficace des enfants dans leurs familles et communautés, le gouvernement devrait:
Développer une coopération solide entre les différents acteurs – la brigade des mineurs, les travailleurs sociaux, les départements travaillant sur les enfants et les ONGs – afin de répondre aux défis et protéger les droits de l’enfant ;
Etablir des lignes ouvertes et des services, tels que des foyers temporaires, pour les enfants restaveks ;
Assurer un retour sécuritaire et surveiller la réinsertion et la réintégration dans les familles, les écoles et les communautés et fournir une assistance nécessaire afin d’assurer une protection durable ;
Encourager l’accès à la justice et développer des mécanismes de protection légales (en conformité avec les normes internationales de droits de l’homme) et de participation des enfants aux procédures judiciaires ;
Développer des formations spéciales et la sensibilisation de la magistrature à la question des droits de l’enfant Recommandations aux organisations internationales :
Mettre la protection des enfants vulnérables et de leurs familles dans les milieux ruraux et urbains, comme priorité dans les programmes et assister le gouvernement et les ONGs dans la mise en application de leurs programmes ;
Intégrer de manière constante la protection des enfants vulnérables et de leurs familles dans tous les programmes de développement ;
En coopération avec le gouvernement et les ONGs, conduire une étude sur la nature et la fréquence du travail des enfants et fondé sur les conclusions de cette étude, développer des programmes pour faire face à la question ;
Etablir des groupes d’interventions spéciales afin de développer et surveiller l’efficacité des programmes relatifs à la question ; Prenant en considération les difficultés auxquelles fait face le gouvernement d’Haïti, la Rapporteuse spéciale félicite le gouvernement pour ses réussites et son engagement à adresser les défis relatifs aux droits de l’homme, en particulier ceux relatifs aux droits des enfants qui constituent près de la moitié de la population. « La sécurité et la protection de chaque individu améliore la sécurité de la nation, en faisant une nation plus forte et juste.», précise la Rapporteuse spéciale. La Rapporteuse spéciale a visité Haïti du 2 au 10 juin 2009 et a rencontré des représentants du gouvernement, des Nations Unies et d’autres organisations internationales et des représentants de la société civile.
En mai 2008, le Conseil des droits de l’Homme a nommé Mme Gulnara Shahinian comme première Rapporteuse spéciale sur les Formes Contemporaines d’Esclavages, y compris leurs causes et leurs conséquences. Mme Shahinian est avocate et possède une vaste expérience en tant qu’experte consultante pour l’ONU, l’UE, le Conseil de l’Europe, l’OCDE ainsi que des organes gouvernementaux traitant des droits des enfants, du genre, de la migration et de la traite des êtres humains. Elle est également un ancien membre du Fond Volontaire des Nations Unies sur le Formes Contemporaines d’Esclavage. Pour plus d’information sur le mandat de la Rapporteuse Spéciale, veuillez visiter le site internet du Haut Commissariat au Droits de l’Homme .