Lettre ouverte de l’OPL au président Michel Martelly
Le Comité exécutif de l’Organisation du Peuple en Lutte (OPL) vous salue au nom de la Patrie commune, legs de nos Ancêtres. Ses salutations s’étendent également au Cabinet de la Présidence qui a cru bon de l’informer que « Son Excellence le Président de la République, Monsieur Michel Joseph MARTELLY, rencontrera les Chefs de Partis Politiques, accompagné chacun d’un membre, le mercredi 14 août 2013, à 9h a. m. au Karibe Convention Center ».
Le Comité exécutif de l’OPL a été surpris d’apprendre que le thème de réflexion de cette rencontre convie à un « Dialogue sur les Élections », alors que, de l’avis général, le Pouvoir n’y pense guère. En outre, la conjoncture est dominée par beaucoup de points qui attisent les conflits internes et maintiennent la population dans le plus grand désarroi. Mais attaché aux principes républicains que le Parti a toujours prônés et respectés, et sachant que la lutte pour la conquête et l’exercice du pouvoir d’État doit être menée de façon civilisée, le Comité exécutif de l’OPL remercie tout de même le Cabinet de la Présidence de l’avoir invité à ladite rencontre.
Monsieur le Président,
Le Comité exécutif de l’OPL ne saurait ignorer qu’en prenant connaissance de sa lettre ouverte, vous allez certainement vous poser deux questions pertinentes :
- Pourquoi l’OPL choisit-elle de bouder la rencontre ?
- Pourquoi décide-t-elle de me signifier sa décision par une lettre ouverte ?
Monsieur le Président, le Comité exécutif vous informe, au cas où vos conseillers n’auraient pas pensé à vous le dire, que la conjoncture ne se prête pas à un simple « Dialogue sur les Élections » et que l’heure est grave. Monsieur le Président, le temps presse et la crédibilité nécessaire à tout Dialogue National semble s’évaporer de jour en jour. En d’autres termes, sous peu, pour utiliser la langue de Shakespeare, « Time will be over ».
Le franc-parler de l’OPL pourrait vous porter à croire que le Parti aurait choisi son camp, entre l’un ou l’autre des protagonistes du chaos. Monsieur le Président, l’OPL ne peut prendre parti qu’en faveur de l’intérêt national, dans le sens de sa vision de direction et d’accompagnement du peuple dans la lutte pour son émancipation et son bien-être.
Monsieur le Président, l’OPL ne supportera aucune démarche qui aboutirait à un coup d’État contre l’Institution parlementaire, le deuxième lundi de janvier 2014, telle que la perpétuation du dérèglement du calendrier électoral pratiquée par l’équipe au pouvoir le laisse présager.
Monsieur le Président, le camp de l’OPL a toujours été, reste et demeurera celui des institutions, des normes, des valeurs et des principes républicains. C’est le camp de celles et de ceux qui se battent pour la récupération de notre dignité, pour le recouvrement de notre souveraineté. C’est le camp de celles et de ceux qui luttent pour l’avènement d’une société moderne dominée par la raison, la science, le progrès, l’éducation et la technologie. C’est le camp de celles et de ceux qui croient que l’avenir du pays passe par la Refondation de l’État-Nation, l’instauration d’un État de droit démocratique, la création d’une société d’inclusion permettant l’intégration de la paysannerie qui représente 72% de la population et de la diaspora qui réunit 87% de nos ressources humaines. C’est le camp de celles et de ceux qui travaillent à l’émergence d’élites politiques, économiques, sociales, intellectuelles, sportives, artistiques et culturelles dynamiques et éclairées, capables de prendre en charge le destin de ce pays exsangue en vue de transformer son présent douloureux en un futur digne d’une Nation responsable. Le camp de l’OPL constitue en fait la troisième voie : celle appelée à nous libérer de la peur, de la misère morale et matérielle ; celle qui nous fera prendre conscience de notre situation dramatique ; celle qui nous portera à nous ressaisir pour comprendre finalement que la société haïtienne possède encore les ressorts et les ressources nécessaires pour se hisser au moins au diapason des pays voisins de la Caraïbe.
Monsieur le Président,
Depuis votre accession à la présidence de la République d’Haïti, le 14 mai 2011, la vie politique du pays est rythmée par des scandales en cascade. Le processus de normalisation institutionnelle n’est pas entamé jusqu’ici et le vide institutionnel, Monsieur le Président, ne va pas sans son pendant : l’anarchie et le chaos.
Certaines de vos déclarations contre l’opposition laissent l’OPL perplexe. L’OPL les juges inacceptables, voire irresponsables. Au lieu de contribuer à établir de bonne foi dans le pays un climat serein, favorable à une rencontre constructive entre des femmes et des hommes d’État, entre des dirigeants politiques responsables, certaines attaques ne font que polluer l’atmosphère et créer un environnement politique délétère, plus propice à un tsunami politique qu’à un compromis politique susceptible de conduire à la « Paix des Braves » : condition sine qua non pour la réalisation du miracle souhaité qui épargnerait au pays ce bouleversement politique qui nous engloutira toutes et tous.
Monsieur le Président,
Le Rapport d’enquête de la Commission sénatoriale sur l’Affaire du juge Jean Serge Joseph, laisse entendre que le Chef de l’État, le Premier ministre et le ministre de la Justice seraient tous des parjures. Le Comité exécutif de l’OPL estime qu’il s’agit-là d’une accusation grave qui, si le Rapport est approuvé par l’Assemblée des sénateurs, provoquera une perte totale de crédibilité, car il est inconcevable que les plus hautes autorités du pays puissent mentir effrontément à la Nation. Jointes au refus des deux branches du Pouvoir exécutif d’acheminer le Projet de loi électorale du CTCEP au Parlement, les conclusions du Rapport d’enquête du Sénat ont porté l’OPL à décliner cette invitation.
Monsieur le Président,
En vous faisant savoir que le temps presse, l’OPL veut tout simplement attirer votre attention sur le fait que le pays se meurt et qu’on est à la veille d’un tsunami politique. Il est inconcevable, Monsieur le Président, que les autorités du pays puisent des dizaines de millions de gourdes dans les fonds du Trésor public pour organiser des carnavals « Zokiki » pour « Zogaga ». Il est vrai que dans la Rome antique, les autorités savaient utiliser la formule « Du pain et des jeux » pour porter la plèbe à croire que son bonheur se résumait à une question de « ventres et de bas-ventres ». Mais en s’associant aux autorités onusiennes pour demander à la communauté internationale de mobiliser cent millions de dollars américains en vue de sauver deux millions d’Haïtiennes et d’Haïtiens de la famine, après l’organisation du « Carnaval des Fleurs », Haïti est devenue la risée du monde entier. Ses dirigeants ont tout simplement projeté sur la scène internationale l’image d’un peuple composé « d’affamés joyeux », de bambochards irresponsables. Monsieur le Président, vous devriez savoir qu’un peuple qui a fait 1804 ne mérite pas un tel sort. Monsieur le Président, un peuple qui a produit Pierre Sully, Charlemagne Péralte et Benoît Batraville, finira tôt ou tard par demander des comptes à ses dirigeants.
Monsieur le Président,
L’OPL sait qu’il existe des dirigeants politiques qui ont choisi de pactiser avec l’étranger en vue de provoquer une occupation directe du pays, ce, dans le but évident d’assurer un contrôle total sur l’exploitation de ses ressources minières. Ces dirigeants ont décidé de fermer les yeux sur l’introduction du choléra en Haïti qui a fait plus de huit mille morts au sein de la population. Yale, la prestigieuse université américaine, vient de confirmer, après de nombreux chercheurs nord-américains et européens, que les troupes onusiennes sont responsables de la propagation du choléra dans notre pays. Malgré tout, les autorités haïtiennes continuent de faire la sourde oreille. Elles ne reconnaissent pas aux familles des victimes du choléra le droit à une réparation juste et équitable de la part de l’ONU. L’OPL se fait le devoir de vous rappeler, Monsieur le Président, que le célèbre romancier haïtien Jacques Stéphen Alexis, dans Les arbres musiciens, écrit cette phrase mémorable : « Les peuples sont comme les arbres, ils fleurissent au printemps ». Le Comité exécutif de l’OPL espère, Monsieur le Président, que cette idée géniale de Jacques Soleil vous aidera à comprendre pourquoi le Parti s’obstine tant à accompagner le peuple haïtien dans sa lutte bicentenaire pour la liberté, la dignité, la citoyenneté, la démocratie et l’amélioration de ses conditions matérielles d’existence qui ne peuvent se cristalliser que dans le cadre d’un État de droit démocratique.
Pour terminer sur une note positive, Monsieur le Président, et pour espérer, même contre toute espérance, le Comité exécutif de l’OPL tient à souligner à votre attention que des élections libres, transparentes et démocratiques constituent certes un passage obligé mais elles exigent des préalables. Seul un dialogue national crédible autour des obstacles majeurs à la Refondation de
l’État-Nation, impliquant le pouvoir, l’opposition, les organisations de la société civile, la paysannerie et la diaspora, permettra de trouver le compromis nécessaire à la réalisation desdites élections. Il vous revient donc, Monsieur le Président, en tant que Premier Mandataire de la Nation, de sauver ce qui peut l’être encore. Une telle convocation conduirait à l’organisation des états généraux de la Nation. Ce serait là le sens du mandat de votre quinquennat. Une telle démarche recueillerait certainement l’adhésion de l’OPL.
Le Comité exécutif de l’OPL vous renouvelle, Monsieur le Président, ses salutations patriotiques et vous souhaite du courage, car nous en avons tous besoin pour assumer les échecs du passé et du présent et affronter victorieusement les moments difficiles qui s’annoncent.
Pour le Comité exécutif de l’OPL,
Sauveur Pierre ÉTIENNE
Coordonnateur général